SUJET COMMUN ☄ SOIRÉE MONDAINE CHEZ LES SALVATICI

L'air est frais au dehors et les éclats de voix n'ont de cesse de s'intensifier. Une énième rasade d'alcool, je sais qu'il m'en faudra bien plus ce soir pour oser m'adresser à quiconque. J'achève le verre, le vidant inexorablement de son contenant, ne laissant aucune goutte poindre sur la surface transparente. Mon visage s'y reflète. Je me mords la lèvre, comme embarrassée. J'ai voulu jouer les grandes, à quitter Papa, tenter de lui montrer que je ne suis plus une enfant.

A l'intérieur, j'entends mes congénères vibrer de la voix, s'extasier, commencer à s'exciter. Ils sont jeunes, ont mon âge. Mais je ne saurais les aborder. J'ai bien trop peur pour cela. Mes jambes se dérobent tandis qu'un filet de vent s'engouffre dans ma toison dorée. Je tourne à nouveau l’œil, je perçois ses pupilles posées sur ma robe. Ma tête s'en détourne, cherchant à tout prix, un autre verre. Pour m'enfoncer un peu plus dans l'ivresse, pour me dérober un tant soit peu. Le son de la musique s'accentue soudainement et ni une ni deux, me retrouve aux côtés de ce garçon. Les palpitations s'emparent de mes mains, que je tente toutefois de lui dissimuler. Le pourpre colore mes joues tandis que je m'entends lui répondre d'une voix brouillée par une gêne passagère. Ahem, oui. Je reprends quelque peu mes esprits, avant de reprendre. Gino Salvatici, c'est bien cela ? Je détourne à nouveau la tête, me mordillant un peu plus la lèvre inférieure, laissant poindre une infinitésimale goutte d'hémoglobine.

Spoiler:

La honte. Ce sentiment des plus abject me corrompt, pénètre pernicieusement dans le moindre de mes membres terriblement empoté. J'aimerais m'évanouir telle la poussière tombant fébrilement des rideaux, m'esquiver dans ces gestes délicats que m'ont appris les filles lorsqu'elles désirent s'éclipser face à eux. Ses commissures s'étirent en un sourire qui a pour effet de ravager mon palpitant quelque peu stupéfait. Idiote que je suis, je n'ai comme seul réflexe de triturer nerveusement une longue mèche dorée, tentant par tous les moyens d'éviter ce regard ô combien séduisant. Ces autres filles devaient très certainement réagir de cette façon face à lui. Je connais Gino de réputation seulement, l'on m'a souvent conté ses multiples charmes, auxquels je suis désormais confrontée, piégée tel un animal en cage. Aucune porte de sortie, j'ai beau tenté de capter le regard de mon père, je ne le vois désespèrement plus. Mais ses mots me ramène à une toute autre réalité. Je suis bel et bien hors de ma prison, ce soir est mon soir, une telle occasion ne se reproduira très certainement plus, surtout si Papa apprend que j'ai partagé une conversation avec le fils des Salvatici. Je peux à présent percevoir son épiderme, qui par un frôlement des plus suave, se pose sur ma main et s'empresse de la prendre, tout en délicatesse.
Cette phrase sonnerait presque comme un ordre si ses yeux ne le trahissaient guère. Un brin d'autorité dans la voix, laquelle j'écoute avec délice, non sans une once d'attention. Je ne réponds pas, et me contente simplement de lui sourire, tout en plongeant mes pupilles au fin fond des siennes. Tout en légèreté, Gino s'empare de ma taille et me fait lentement virevolter au centre de l'immense pièce de réception. Le rouge me prend à nouveau les joues, quand bien même j'essaies de l'effacer par un tendre rire voluptueux. Une chorégraphie s'élance et nos corps n'ont de cesse de se rapprocher. Je décèle un feu qui s'embrase dans les tréfonds de mon estomac. Gino se mouve à la perfection. Les invités ont les regards rivés sur nous, tandis que nous nous interrompons guère. Enchaînement de pas, lascivité, nos regards se croisent à n'en plus finir. Il est plus proche que jamais, tout mon corps crie alerte. Plus rien ne persiste autour de nous, ou presque. J'entrevois mon père, au loin dans la foule, me dévisageant avec intérêt. Je souffle à l'oreille de mon cavalier. J'ai la tête qui tourne, il me faudrait à boire. Un dernier tour, le rythme ralentit, et ma gorge se fait plus aride que jamais. J'ai besoin d'un verre, tout de suite.

Je n'ose à peine jeter une œillade à l'arrière, tant j'imagine l'irritation qui s'éprend de mon père en cet instant. Je pourrais ainsi dire, que je le discerne que trop parfaitement, comme si c'était moi qui l'avait façonné. Mais je préfère ne guère y cogiter, penchant plutôt pour me remémorer ce suave moment en compagnie de Gino. Ce corps à corps quelque peu échaudé dont je ne veux point me remettre. Il m’amène un brin plus loin, m'offrant alors ce que je désirais. Je lève mon verre à mon tour, laissant échapper dans un souffle. Santé. Je tente d'entrevoir ses pupilles, qui auparavant n'avaient de cesse de s'immerger en les miennes. Quelque peu gênée, l’entièreté du contenu s'écoule alors dans mon stupéfait. Le verre vide, j'en reprends un autre, avant de glisser ma main dans celle de Gino, l'emportant vers la troupe de jeunes gens, qui s'est accrue il y a peu. L'alcool aidant, j'affiche un sourire des plus délicieux, fidèle à ce que je suis. Salut tout le monde, où en sont les festivités ?

Silencieuse et observatrice, elle s'était éloignée légèrement du petit groupe, enfin surtout de Baya, lorsque le jeune homme s'étant élancé vers cette inconnue, sûr de lui-même, sans l'once d'une hésitation. Ce pari était sûrement l'occasion et un prétexte pour réaliser l'éclosion d'un songe qu'il avait eu au fond de sa pensée quant à cette demoiselle.
Apercevant l'une de ses danseuses, la belle Astrid, la patronne lui adresse un petit coucou, comme pour l'inviter à la rejoindre. Mais assez vite, elle détourne le regard, intéressée.

Les deux jeunes gens dansent, monopolisent l'attention. Murmures et mauvais regards se jettent sur leurs deux petites personnes.

C'était simple, trop simple, à son goût. Ne voulaient-ils pas s'amuser un peu ? Embraser cette ambiance qui de base promettait d'être froide, sans goût, sans action ? Night était quelque peu déçue, ou disons plutôt qu'elle restait sur sa faim... Cette fille-là, c'était l'innocence incarnée, elle semblait sortir tout droit du couvent. Il y avait quelque chose chez elle de maladroit, naïf, candide. C'était une oie blanche. Une jolie poupée malléable à souhait... Ne fallait-il pas profiter de son ignorance pour rendre les choses d'autant plus excitante ? Ou alors, ternir la blancheur de son âme ? Des multitudes de choix s'offraient à eux, tous plus amusants les uns que les autres.

Un sourire étira ses lippes rouges écarlates charnues, son regard vert vif se pose sur la jolie captive d'un défi dont elle ignorait l'existence. La liqueur dorée de son verre de cristal se faufila dans sa gorge, le pétillant de la boisson lui arrachant un sourire de satisfaction subtil, puis elle répondit à celle qu'elle oserait qualifier de petite fille :

« Si tu savais... » Émit-elle dans un discret soupir, avec un sourire plein de malice et un regard évocateur à Gino. Mais elle poursuivit avant que la voix de la jeune fille s'élève une seconde fois : « Vous étiez d'une harmonie ! Quand on vous regardait on avait cette impression que le temps était stoppé. Et c'était d'une sensualité... Ça en semblait presque osée devant papa et maman, quand même... » Puis elle mit fin à ses compliments un tantinet ambigus et moqueurs, mais rien de faux, le tout restait sincère.

Parmi le groupe se trouve trois autres de mes congénères que j'observe bien apprêtées, joliment vêtues, dont une que je remarque tout particulièrement. Son faciès transpire la volupté, une beauté vengeresse, presque dangereuse. De ces femmes fatales que l'on voit dans ces films, côtoyant les hommes les plus richissimes, les plus réputés. Ces femmes là, Giova a toujours pris le soin de m'en écarter. Prédatrices avant tout, elles n'hésiteraient pas un instant à vous enfoncer leur talon aiguille dans vos orbites, vous privant ainsi de cet organe érogène.
D'un ton dans lequel je perçois une légère condescendance, j'écoute attentivement ses mots, choisis méticuleusement. Et dans un rire translucide, je ne lui réponds que d'une brève phrase. C'est fort aimable de ta part, je t'en remercies. Avant d'épuiser le breuvage jusqu'à la dernière goutte, puis de me diriger à nouveau vers le bar. Les sourires de façade, les élucubrations fallacieuses, il va être peu aisé d'ôter la petite ingénue de son piédestal. Ce jeu là, je le connais, j'y joues malheureusement tous les jours.

Elle sirotait son verre avec calme, quelque peu étonnée de leurs réactions sans rien en montrer. Ils avaient réagi comme si elle avait touché une corde sensible, c'était amusant au fond. Ils n'ignoraient quand même l'alchimie dont ils avaient preuve seulement deux minutes plus tôt, si ?
Tandis que son regard se posait avec insistance sur chaque invité, tel une abeille qui pollinisait des fleurs une à une, les paroles du jeune brun manqua de la faire s'étouffer avec son verre de champagne. Night le dévisagea alors d'un air désapprobateur et surpris, mais elle lit dans son regard bleu de la provocation à l'état pure. Il voulait la piquer, et ça marchait bien. Pourtant, elle ne voulait pas lui laisser la satisfaction de la voir se replier face à défi d'une telle envergure. Elle pesait le pour et le contre. Night n'aimait pas se faire remarquer hors des quatre murs de son cabaret.

« C'est plutôt... Osé, je pensais qu'on allait y aller crescendo. » La blonde était encore sur la réserve, dubitative. Certes des hommes ici l'avaient déjà vu danser, notamment Paolo qu'elle avait aperçu, mais... Étrangement, elle ressentait une honte à le faire en cette soirée là. Mais son estime d'elle et sa fierté était trop haute pour le laisser sortir vainqueur de cette provocation. Elle s'étonnait elle-même d'ailleurs, c'était assez puérile de sa part.

« Laisse-moi le temps de boire quelques verres en plus, et je relève le défi avec p-l-aisir. » Finit-elle par lancer, posant son regard sur la longue table qui servait de buffet, enfin... Pour l'instant.

Je n'avais dès lors jamais entendu parler de la répartie de Gino. L'on me vantait d'ordinaire ses manières, son physique, sa réputation. Il venait de dégainer ces mots comme il aurait pu brandir une arme affûtée. Une phrase acerbe, incisive, mettant la jeune blonde au défi. J'attendais la réponse de notre interlocutrice avec tant d'impatience. Mais je l'imaginais difficilement décliner l'offre de Gino, après tout, ce n'était absolument pas son genre. A en observer les regards affamés des hommes environnants, Night n'est pas de ces femmes à les laisser indifférents. Non pas qu'elle se contente d'une œillade ou d'un sourire concis envers eux, à en voir son jeu, la provocation doit être sa meilleure carte. J'ai hâte de te voir à l'oeuvre. Préviens nous afin que l'on n'en rate rien. Un sourire, des plus sincères. Il me tardait de la voir exercer ses talents, si toutefois elle en aurait la force. Une gorgée, encore, une chaleur oppressante embourbe mes membres.