SUJET COMMUN ☄ SOIRÉE MONDAINE CHEZ LES SALVATICI

Elle s'avance dans ce monde de faux-semblant, perdue et esseulée. Elle ressemblait à une gamine à qui on avait lâché la main. Mais non, ce n'est pas une gamine, c'est une femme, une grande dame, que croyez-vous ? Elle s'est mise sur son trente-et-un, comme tous les autres, sans en connaître la réelle raison. Allez savoir qui l'avait invitée celle-là, cette étrangère, celle qu'on ne voyait jamais hors de scène, et encore, c'était d'une rareté de la voir se présenter.
Des années lumières qu'elle n'a pas mis les pieds dehors, des années lumière qu'elle n'a pas fréquenté tant de monde. Et là, aujourd'hui, elle se mêle à la foule, elle s'y perd, elle fait partie d'une masse comme elle le hait tant. Night s'en extirpe le plus vite possible, elle s’arrime au bar, demande un verre d'eau glacée, simplement de l'eau, et elle observe les autres ; deux jeunes gens semblant faire connaissance.

La demoiselle faisait glisser la liqueur glacée dans sa gorge, l'air de rien, mais cela ne signifiait pas qu'elle n'avait pas remarqué le coup d’œil du couple de jeunes à ses côtés, mais elle perçut surtout le geste indiscret du brun, le fait d'être pointée du doigt. Elle tend l'oreille, se tourne vers les deux adolescents qui finalement n'ont seulement quelques misérables années de moins qu'elle, et d'un air intéressé, elle les observe, sans chercher à passer inaperçue, sans même chercher à être un minimum discrète. « J'en connais une qui aurait besoin d'un cocktail. » Avait entendu Night. Un fin sourire étira ses lèvres charnues tandis qu'elle se permit de répondre alors :

« Et que me proposerais-tu dans ce cas ? » Elle croisa les bras sous sa poitrine, curieuse d'entendre sa réponse du coup. « Si en ce début de soirée, vous commencez déjà avec l'alcool, je n'imagine même pas ce que ça va donner par la suite. » De l'action, à coup sûr ! Voire des jeunes complètement défoncés à une soirée mondaine ne pouvait être qu'amusant.. Et rageant pour les parents.

La jeune femme sembla hésiter quelques secondes face à la proposition de l'inconnu, puis finalement elle opina du chef. Qu'avait-elle de mieux à faire au milieu d'une vague d'inconnus dans un tel milieu ? Night s'approche d'un pas, puis deux, d'abord méfiante, puis finalement elle s'avance avec insouciance, un sourire toujours accroché aux lèvres. Sourire qui montrait à la fois de la politesse, sourire qui se voulait être aimable, mais surtout sourire plein de reconnaissance, après tout ils venaient de la délivrer d'une solitude qui aurait pu être bien plus longue.

« Je ne peux qu'espérer pour vous deux que vous ayez le corps résistant, qu'on ne me tienne coupable d'aucun crime en cas de coma éthylique. » Souffla-t-elle ironiquement avant de demander un cocktail alcoolisé, ne préférant pas directement toucher aux alcools trop forts. « Au passage, tu peux me tutoyer. Je fais pas si vieille que ça ? » Fit remarquer la blonde. Les observant de ses grands yeux verts, elle se demandait ce qui les poussait tant à être présents ici, elle avait cette folle impression que ce monde d’afféterie et d'hypocrisie n'était tout simplement pas le leur, comme s'ils étaient forcés. Papa et maman sûrement...

La belle blonde évoque son âge.
- T'as raison, mais tu sais, c'est les règles de courtoisie. Je suis censé bien traiter mes invités.
Elle prend alors un cocktail et j'esquisse un sourire en regardant Baya. Allez, que tout le monde s'y mette. Après tout, dans ce genre de soirée, tout le monde finit ivre et rentre chez soi en titubant. Le lendemain, on aura tous oublié nos attitudes de la veille et on ignorera les paroles prononcées sous l'effet de la substance qui court dans le sang.
Baya prend un nouveau verre.
Moi aussi.
Je fais de nouveau tinter le récipient contre les verres des deux femmes.
- Que les festivités commencent.
Je murmure alors.

Tu te sens mal à l'aise d'être ici, t'as pas l'impression d'avoir été invitée.
D'ailleurs, pourquoi t'es là ? t'as pas mieux à faire que d'enfiler une robe et venir te mêler aux gens que tu ne reverras certainement plus jamais ? en fait, non. Parce que t'as pas à travailler ce soir, parce que t'as la chance d'avoir ta soirée pour toi toute seule. T'aurais pu faire tout et n'importe quoi, aller au musé ? rester chez toi, sur ton canapé, pendant des heures, jusqu'à te liquéfier et ne faire qu'un avec le sofa.
Tu restes dans l'ombre, sans bouger, tu veux pas tellement qu'on te remarque, tu sais même pas pourquoi t'es là. Peut-être parce que t'avais envie d'essayer ta robe, parce que t'avais envie de sortir un peu, ou parce que t'as tellement peur d'être seule que tu ferais n'importe quoi pourvus qu'il y ai du monde autour de toi, pour qu'il ne puisse pas s'en prendre à toi. Puis, il ne sera pas là.

Tu regardes plus loin, tu vois ta patronne. T'es rassurée, tu respires, t'as l'impression d'être en sécurité grâce à elle. Pourtant, tu n'oses pas t'approcher d'elle, de peur d'être de trop, tu t'sens pas de leur niveau. Alors tu bouges pas, t'attends, tu regardes les invités de haut en bas, tu les détailles puis baisse les yeux. Et t'attend. Encore quelque minutes avant que tu ne repartes, tu auras au moins fait acte de présence un petit moment. Pour l'instant, tu joues la plante verte.

Je pénètre dans l'antre Salvatici au bras d'el padre. Le dos droit, le pas lent et calculé, les effusions d'alcool me montent au nez. Avec Papa à mes côtés, il me sera difficile de m'enivrer. Il va donc me falloir redoubler de malice pour échapper à son contrôle permanent. Car ce soir, je désire m'amuser, ravaler ce vernis lisse que l'on revêtit lors de ces bals d'hypocrisie. Les lèvres de Paolo se pressent affectueusement contre ma tendre joue, la pression de son bras se défait quelque peu, me laissant un tantinet de leste pour m'en extraire. Fais attention à toi Lia, me souffle t-il. Des mots que je connais maintenant que trop bien. Une dernière œillade lancée à mon sang, à cette aimante chair. Et je m'éloigne, d'un pas frivole, presque dansant, dans cette robe blanche, à la nuance rosée, légère et vulnérable. Mon interminable chevelure entame une chorégraphie des plus subtile, impactant l'atmosphère ambiante que je perçois comme erronée. Qu'importe. J'éprouvais cette envie de jouer.

Je croise un serveur, tendant machinalement son plateau aux milles cristaux. Un verre, une gorgée de champagne. Je trempe avec délicatesse mes lippes et croise ses yeux. J'ignore encore qui est ce garçon, mais je décèle en mon palpitant un soubresaut. Faisant volte face, je me dirige alors vers le balcon, dans le but de quémander une cigarette à qui voudra bien m'en offrir.