anniversaire (astrid)

« Tu vas bien t’amuser, tu vas voir ! »
« Dix-huit ans, ça se fête, allez viens ! »

Et t’avais suivi. Et tu t’étais égaré dans les rues avec eux. Ceux de ta famille, des amis. Vraiment ? Parce que finalement, tu te sentais tellement à part. Là, dans ce groupe qui rigolait trop fort. Qui fendait la foule dans la nuit. Que tu demandais bien si oui ou non, ils étaient ta famille. Tes amis. Mais, c’était ta fête. Alors, tu faisais un peu semblant. D’être content d’être là.

« On va te montrer des vraies. Des femmes. » C’est là. Que t’avais vraiment fini par lâcher prise. Des femmes qui dansent. Des femmes quasiment nues sur une scène. Et les garçons si excités. Comme des puces. Dégoutant. Totalement. Tu comprenais pas. Peut-être parce que pour toi, une femme, n’était en rien excitante. Peut-être. Mais. Tu ne te sentais pas si instable en voyant un beau garçon. Même quasiment nu. Non. Tu n’étais pas comme ça.

Trop d’alcool. Et t’avais pu rapidement passer outre leurs regards. Leurs surveillances sur toi. Te faufiler ici et là dans le cabaret. Pour chercher une sortie. Une cache secrète. Le temps que la soirée se termine. Oui. Ce serait bien ça. Rester planquer. Jusqu’à ce qu’ils te cherchent. Jusqu’à faire semblant d’avoir été en bonne compagnie. Parce qu’ils croiraient, t’en étais certain. Et puis. Les filles, n’étaient certes pas excitantes. Non. Mais, tu avais toujours bien aimé dessiner les corps humains. Formes si douces dans un monde si dur. Rustre. Avec elles. Avec eux. Avec les Hommes.

Pourquoi se battre.
Pourquoi alors que la vie elle-même était déjà une guerre ?

Coin sombre, tu t’y faufiles.
Coin sombre, tu t’y assois.

Enfin tranquille.
Cornelio. Tu peux enfin respirer.

Le travail. Tu ne pensais pas pouvoir t'y faire à toutes ces paillettes et ces hommes qui bandent en te regardant. Lorsque tu dansais sur le parquet de ton club de danse classique, c'était devant un public avec des étoiles dans les yeux, pas une bosse sur le pantalon. Mais, au bout d'un certain temps, on prend l'habitude. Tu étais encore un peu dégoutée en les voyant mais tu n'avais plus envie de partir te cacher dans les bras de ton frère en pleurant. C'était déjà ça.

Tu avais dansé un bon moment ce soir, t'avais enflammé la piste en te trémoussant dans une des tenues que tu préférais. Si tu faisais ça, c'était également pour Night. Pour qu'elle soit fière de toi, qu'elle comprenne à quel point tu lui étais redevable, à quel point tu lui étais reconnaissante de t'avoir sorti de ta misère et de ta peur. En sortant de scène, tu jettes un regard alentours au cas où un client demande une nouvelle danse, plus privé. Personne, rien qu'une bande de mecs bourrés qui sifflent en vidant leurs verres. Sûrement un anniversaire à fêter, c'était fréquent ici. Alors tu commences à t'éloigner, tu vas déposer quelques affaires en continuant de déambuler sur tes talons hauts en faisant bien attention de ne pas te prendre les pieds dans un fauteuils.

Tu passes devant un petit coin que forme l'angle entre une table et le mur  où trône fièrement un petit siège rouge, tu écarquilles les yeux en voyant une personne assise ici.
- que faites-vous là ? le spectacle c'est là-bas.
T'accroupissant, tu regardes l'homme assis en retenant un petit rire. Il n'avait pas l'air bourré, donc ce n'était pas dû à l'alcool, mais alors pourquoi se cacher de la sorte ?
- je peux peut-être vous aider ?
Toi et ton éternelle gentillesse, toujours prête à rendre service, toujours à aider ton prochain, ça te perdra un jour.

Oh. Oui, oh. Tu te dis que peut-être tu n’aurais pas dû être assis là. Surtout quand elle arrive. Surtout quand elle te parle. Mince. Tu regardes autour de toi. Oui, mais, ici au moins t’es tranquille. Alors, t’as vraiment pas envie de bouger de ce petit cocon. Non. C’est nul mais, au moins ici, on t’emmerde pas. On te glisse pas un verre de bière entre les mains et, on bande pas devant des filles. Filles. Tu souris doucement. « Oh euh…je devrais pas être là ? »

Une main qui glisse dans tes cheveux, un sourire un peu désolé sur le visage. Tu sais pas trop quoi lui dire, à elle. Elle qui doit travailler là. Au vu de sa tenue, légère et les talons haut perchés. Mon Dieu. Comment on pouvait marcher avec de telles chaussures ! Un petit rire s’étrangle dans ta gorge. « C’est que…je fuis mes amis. » Tu pointes du doigt plus loin. Le groupe d’amis qui se font un peu trop remarqués. Bruyants. Dégoutants. Oui, tu veux pas passer la soirée avec eux. Peu importe ton âge. Peu importe ton anniversaire.

Tu la fixes, la regardes. Et t’hésites. Parce que si elle te dit que t’as rien à faire là, tu sauras pas où te planquer ailleurs. Fuir peut-être ? Aller dehors, rentrer ou aller à l’immeuble. Oué, ça pourrait aussi être une idée. Même si demain, t’en entendrais parler. « C’est que, ils sont… » Tu te racles la gorges et hausse les épaules. « Le spectacle ne m’intéresse pas. » Oué, au moins c’est la vérité. Le spectacle, t’en a rien à foutre. Les filles. Si belles soient-elles, elles t’intéressent pas à danser de la sorte. Même si c’est beau. Même si c’est excitant. Toi, ça te fais rien. Rien, parce que t’aimes les courbes masculines.