(TE DIRE QUE LE MONDE EST BEAU, ET QUE C'EST BEAU D'AIMER)

Invité

la musique est très forte, elle fait bourdonner mes oreilles, un petit peu. ça fait boum boum dans ma tête, ça fait boum boum dans mon cœur.
je crois que j'aime bien ça, car je me sens comme un oiseau blanc, un oiseau joli.
et je crois, je crois que ça me plairait d'être un oiseau, un tout petit oiseau qui s'envole entre les ciels bleus d'Italie.
mes doigts tremblent un petit peu de ce tumulte incessant, de ces gens qui rient beaucoup, et puis qui dansent, surtout.
j'aimerais bien, moi aussi, danser, mais je ne suis pas très forte en ça, vous savez.
alors, je m'assieds un petit peu, sur un petit banc de bois, qui grince un peu, qui me pique les cuisses, mais qui a de tout petits pieds décorés de fleurs. et moi, je trouve ça mignon, et moi, je trouve ça joli. parce que moi, les fleurs, c'est ce que j'aime le plus après les gens et puis le chocolat. oui, les fleurs, j'aime vraiment beaucoup ça. à côté de moi, il y a ce garçon, au visage un peu pâle, au visage un peu blême. il a les yeux très sombres, comme le chocolat noir que je mange, souvent.
alors moi, ça me fait rire, et j'appuie ma main très fort contre ma bouche pour ne pas, justement, vous savez, rire aux éclats. je ne sais pas si ce garçon là, avec ses prunelles sombres, ses prunelles chocolats, aimerait beaucoup ça. je croise son regard, son regard très froid, et je me mords les joues, et je me pince les jambes. pourquoi il est froid, si froid, son regard ? il a vraiment des stalagmites dans les prunelles, et puis à moi, ça me fait un petit peu peur.
- je ne riais pas de toi, promis juré.
c'est juste que j'aime bien tes yeux, à toi, ils ont la même couleur que le chocolat noir que je mange parfois. tu vois ?
et puis je lâche un rire, oubliant de me mordre les joues très fort. alors je regarde mes mains et triture un petit peu mes ongles, surtout celui du petit doigt de ma main droite. ce n'est pas que je ne l'aime pas, vous savez, c'est juste ce qu'on pourrait appeler une mauvaise habitude. les gens en ont, parfois. je le sais, ça.

Il y a ce truc, avec la solitude. Elle te rend triste, elle te rend blême, elle te rend malade. Je me suis rendu à l’immeuble, la solitude comme cavalière, fermement accrochée à mon bras, et ses yeux aux longs cils qui me regardent et me charment et me disent : toi je ne te lâche pas, jamais. Je ne suis pas certain que ça soit une si bonne chose, d’avoir la solitude accrochée au bras pour toute la vie.
Alors avec la solitude vient le vide.
Le vide, il faut le remplir.
Alors je l’ai rempli avec des liqueurs et des verres, jusqu’à l’ivresse. Avec l’ivresse j’ai connu l’euphorie, je l’ai effleurée. J’ai dansé avec des filles magnifiques aux cheveux bruns et aux jolis seins qui m’ont promis des nuits incroyables comme dans les rêves et je répondais d’accord, tout à l’heure. Comme si ce soir, je ne savais plus dire non. Comme si ce soir, ça me dérangeait de ne pas tout maîtriser. Alors j’ai battu en retraite, la queue entre les jambes, titubant jusqu’à ce banc aux pieds plein de fleurs qui malgré les années n’ont toujours pas fané.
Ah, les survivantes.
Je le visage plongé dans mes deux paumes, pour calmer la fièvre, le feu qui me bouffe la peau et le front. Il fait si chaud, à chaque fois, là-dedans. Une vraie fournaise qui ressemble de près à l’Enfer, c’est certain.
Un rire cristallin explose dans mon tympan.
- Je ne riais pas de toi, promis juré. C’est juste que j’aime bien tes yeux, à toi, ils ont la même couleur que le chocolat noir que je mange parfois. Tu vois ?
Je louche un peu.
Est-ce que ça ressemble à un mauvais rêve ?
Non, ma tête tourne mais tout est si réel, rien n’est changé. Toujours le même immeuble.
Toujours le même banc que mon cul use.
- Non, j’vois pas.
Je marmonne, presque en crachant, d’un ton plein de dédain.
- Puis j’sais pas ce que tu mets dans ton chocolat, mais si tu regardes bien mes yeux, tu verras qu’ils sont pas noirs.
Ils ont plutôt une couleur de mer délavée.
Le fond de mon œil, lui, par contre, est bien sombre.
Peut-être qu’elle parle de ça.